En 1453, la Guerre de Cent Ans s’achève enfin. La Beauce et la Normandie viennent d’être reconquises par Charles VII sur les Anglais. Neuf familles sur dix de la noblesse féodale ne s’en relèveront pas, du fait des pertes subies durant la guerre contre l’Angleterre, des épidémies de peste, ou encore en raison des razzias menées par les seigneurs français les uns contre les autres, le rançonnement étant devenu leur seul moyen de subsistance. C’est une hécatombe, presque toutes les familles nobles ont disparu ou sont désagrégées.
Un intense « renouvellement des cadres » se met en place, au cours duquel les personnalités qui ont émergé durant la reconquête sont récompensées. Comme nous le dit le dossier des Preuves, établi par les généalogistes royaux lors du recensement fiscal de 1666 (1), « Pierre Hoguerel, dit des Ligneris, Ecuyer, Capitaine de Châteauneuf-en-Thymerais, est le premier connu par les titres de la famille. Il vivait en 1460, et fut marié avec Jeanne de Tournes que l’on croit descendue des seigneurs de Tournes paroisse située en Touraine auprès de la Rivière de Loire. Il possédait des biens dans les provinces d’Anjou, de Touraine et de Beauce. On ignore la raison qui lui fit prendre le surnom des Ligneris qu’il a transmis à ses successeurs. »
On peut bien sûr s’interroger sur cette appellation de Hoguerel, qui est un prénom (l’équivalent de Hugues) mais pas un nom de famille. Sur le fait également que Pierre possède apparemment déjà de nombreuses terres, dispersées dans les contrées très variées que sont l’Anjou, la Touraine et la Beauce. Il ne venait donc pas de nulle part, mais assez probablement d’une famille de gentilhommes déjà installée, qui a réussi à survivre au « trou noir » de la guerre de Cent Ans.
Quoi qu’il en soit, Pierre est cité en 1478 comme chevalier et seigneur de Lachet, terre située dans la paroisse de Saulnières (aujourd’hui en Eure-et-Loir) (2). Sa femme Jeanne de Thornes (ou de Tournes), qu’il avait épousé en 1467 est également appelée Jeanne de Baudiment, fille de Jean de Thornes et d’Isabeau de Baudiment.
Les terres de Thornes, qui s’appelaient alors Thorus, si ce sont bien elles, étaient situées bien loin de Chartres, près de Château-Larcher (dans la Vienne), à 20 km au sud de Poitiers. C’est aujourd’hui un lieu-dit constituée d’une ferme, dans une jolie petite vallée de la rivière « La Douce ».
Le village de Saulnières se situe quant à lui en Eure-et-Loir dans la vallée de la Blaise, à mi-chemin entre Dreux et Châteauneuf-en-Thymerais. Le lieu-dit Lachet existe toujours ; ce n’est ni un village ni un château mais comme pour Thorus le fief était constitué d’une ferme à peine fortifiée et de quelques terres alentours. La ferme est toujours là de nos jours, nichée dans un repli du terrain, seule. Il n’y a aucune construction autour à perte de vue, elle est tranquille comme il y a 550 ans.
Le remuant suzerain de Pierre des Ligneris est Jean II d’Alençon (1409-1476), époux de Marie d’Armagnac (1420-1473). Duc d’Alençon, comte du Perche, il est aussi directement et sans intermédiaire baron de Châteauneuf-en-Thymerais. C’est peut-être lui qui installe Pierre des Ligneris comme capitaine de Châteauneuf vers le début des années 1460. Après 1461 dans ce cas, puisque Jean d’Alençon était emprisonné depuis 1458, à l’issue d’un fameux procès pour haute trahison, lors du Lit de Justice de Vendôme magnifiquement représenté par Jean Fouquet. Condamné à mort, Jean d’Alençon avait été gracié par Charles VII mais emprisonné. Son duché avait été confisqué, néanmoins sa femme Marie d’Armagnac avait conservé le comté du Perche (et la baronnie de Courville ?). Jean d’Alençon est finalement libéré par son filleul Louis XI à son avènement en 1461. Mais il ne s’assagit pas pour autant et le trahit en participant à la révolte princière de la Ligue du Bien Public en 1465, récidive en 1468 avec le duc de Bretagne et 1473 avec le duc de Bourgogne. Autant dire que la tâche de Pierre des Ligneris comme vassal d’un tel prince n’a pas dû être facile…
De nouveau emprisonné, Jean d’Alençon décède en 1476. Son fils René (1454-1492) lui succède en 1476, devenant le suzerain de Pierre.
Faut-il donc s’étonner que le fils aîné de Pierre des Ligneris, né vers 1468, soit prénommé Jean, comme son premier protecteur et suzerain, et le second, né vers 1470, René ?! Le lien est frappant, il s’agit clairement d’un signe de déférence.
Les deux fils seront suivis de deux filles, Marie et Jeanne. La première épousera Hugues de Ternes, Ecuyer, seigneur du Hamel, dont naîtra une fille, Jacqueline de Ternes (3). La seconde se mariera avec Gilles d’Adonville, Ecuyer, seigneur d’Auvilliers (probablement le fief d’Auvilliers situé près de Meslay-le-Vidame, à 20 km au sud de Chartres), dont elle aura deux enfants (4).
En 1483, après 22 ans de règne, le roi Louis XI décède, laissant la place à son très jeune fils Charles VIII. René d’Alençon participe entre 1485 et 1488 à la coalition de la guerre folle contre Anne de Beaujeu, régente de France. Pardonné, il épouse en 1488 Marguerite de Lorraine-Vaudémont (1463-1521). René d’Alençon décède en 1492 à seulement 38 ans, alors que son fils Charles IV appelé à lui succéder n’est âgé que de trois ans.
Pierre des Ligneris quant à lui, disparaît en 1494. Les quatre frères et sœurs partagent la succession de leur père par acte notarié du 22 juin 1499. Pierre aura réussi à poser les bases solides d’une famille fidèle aux ducs d’Alençon qui le lui rendront bien.
(1) Source : Dossiers Bleus, Département des Manuscrits Français, cote 29941 (Dossiers Bleus 396), Cabinet des Titres, Bibliothèque Nationale de France. Consulté sur Gallica le 09 octobre 2019, cote de la matrice R212517.
(2)
(3) La famille de Ternes portait comme armoiries : « D’hermines à une croix de gueules ».
(4) Source : manuscrits de Laisné [compléter en précisant]