#07 Théodore (2ème partie) et le prince François de Valois

Jean Babou de La Bourdaisière (1511-1569) comte de Sagonne, peint par François Clouet en 1553. Musée Condé au château de Chantilly

Jean Babou de La Bourdaisière (1511-1569) comte de Sagonne, peint par François Clouet en 1553. Musée Condé au château de Chantilly

Théodore a 9 ans, il se trouve dans une prison de Loches après avoir subi un interrogatoire, tandis que les Français divisés entre catholiques et protestants s’entretuent dans les villes alentours.

Il est certes orphelin, mais appartient à un clan composé de familles alliées et solidaires. Le beau-père de son cousin René, Jean Babou seigneur de la Bourdaisière, a été informé de l’arrestation de Théodore. Il l’envoie immédiatement chercher et le sauve.

Or Jean Babou n’était pas n’importe qui : capitaine de la ville et du château d’Amboise, il occupait le poste d’envergure nationale de Maître Général de l’Artillerie, et s’était vu confier par Catherine de Médicis « le gouvernement de la personne et de la maison » de son fils François, duc d’Alençon – c’est-à-dire qu’il était son précepteur.

Portrait de François d'Alençon enfant

Portrait de François d’Alençon enfant

Grâce à lui, Théodore est placé en 1562 comme enfant d’honneur du prince François (pourtant plus jeune que lui de deux ans). Il le servira ensuite en qualité de gentilhomme de la Chambre à partir de l’âge de quinze ans (en 1568) jusqu’à la mort de François (en 1584). Cette charge correspond à un poste d’officier dans l’administration de la maison princière. Elle lui assure surtout un revenu, et lui permet de graviter dans l’entourage immédiat du prince.

François de Valois est le dernier né de la famille royale. C’est un prince revêche, taciturne et ambitieux. Il jalouse à l’extrême son frère aîné, le duc d’Anjou (le futur Henri III), à l’ombre duquel il a grandi. Physiquement, ses contemporains le décrivent comme « très laid ». Il faut dire que la petite vérole qu’il a contractée enfant ne l’aide pas (1).

En 1571, l’échec des négociations pour marier le duc d’Anjou avec la reine d’Angleterre Élisabeth pousse Catherine de Médicis à proposer son autre fils François, bien que celui-ci, âgé de seulement 16 ans, soit de vingt-deux ans le cadet de la souveraine britannique. C’est à cette époque que commence la carrière politique de François.

Après le massacre de la Saint-Barthélemy en 1572, François devient le centre des mécontentements qui s’élèvent contre le renforcement de l’autorité royale. Il prend peu à peu conscience du rôle qu’il peut jouer dans la politique du royaume. Lors du siège de la Rochelle en 1573, François, 18 ans, marque son opposition à son frère Henri, 22 ans, qui conduit le siège. C’est à ce moment qu’il se lie d’amitié avec son beau-frère, le roi protestant Henri III de Navarre (le futur Henri IV de France), époux de sa sœur Marguerite, 21 ans (connue sous l’appellation de la Reine Margot).

Portrait de François de Valois en 1572

Portrait de François de Valois en 1572

Après le départ d’Henri pour la Pologne où il avait été élu roi, François espère succéder comme roi de France à son frère aîné Charles IX, 23 ans, dont la santé se détériore de jour en jour et qui n’a qu’une fille de son mariage avec Élisabeth d’Autriche. Avec Henri de Navarre, il met en place le complot dit des Malcontents, pour s’imposer comme successeur à la place de son frère Henri. Sa mère Catherine de Médicis parvient à déjouer la conspiration et François est arrêté. Henri, revenu de Pologne dès l’annonce de la mort de son frère Charles, devient roi sous le nom d’Henri III. Il pardonne à François, mais son jeune frère demeurera retenu à la Cour sous surveillance, ainsi qu’Henri de Navarre.

En 1575, François continue d’être à la Cour le chef du parti d’opposition. Il subit les brimades et les moqueries dont il fait l’objet de la part des « Mignons » (favoris) de son frère. Catherine de Médicis tente de calmer le jeu mais en vain car un soir de bal, François se fait directement insulter et prend la résolution de s’enfuir. Il s’échappe à travers un trou creusé dans les remparts de Paris.

Sa fuite crée la stupeur. Les mécontents de la politique royale et les protestants s’unissent derrière lui. En septembre, il est rejoint par le roi de Navarre qui est parvenu lui aussi à s’enfuir.

La guerre qui s’ouvre est prometteuse pour François. Henri III doit alors baisser les armes. Le 6 mai 1576, il proclame l’Édit de Beaulieu, surnommé « La paix de Monsieur ». Cet édit permet la liberté de culte pour les Réformés dans tout le royaume de France, attribue huit villes aux Protestants, et réhabilite les victimes du Massacre de la Saint-Barthélemy. François reçoit l’Anjou en apanage (c’est-à-dire que la région devient son domaine personnel) et une indemnité extraordinaire. Il se réconcilie avec le roi et reprend triomphalement sa place à la Cour sous le titre de « Monsieur ».

C’est dans ce climat de retour en grâce que le gentilhomme de sa suite Théodore des Ligneris épouse le 16 février 1577 (2) Françoise de Billy, qui lui apporte la baronnie de Courville. Sans doute poussé par son environnement social, Théodore trouve ainsi à établir sa position, comme il est d’usage pour un membre de la noblesse. Il ne peut pas continuer indéfiniment à mener une vie d’aventurier aux quatre coins de l’Europe comme officier ou conseiller du prince François. Il doit prendre femme et assurer la postérité de son nom ; et surtout s’appuyer sur une terre, à la fois pour les revenus fonciers qu’elle lui procurera, mais aussi parce que la propriété d’un domaine est le fondement du système féodal. Il hérite ainsi, par son mariage, du titre de baron. Rappelons qu’un titre était rattaché à une terre, pas à une famille (3).

Le bourg de Courville est doté d’un château-fort ; il se trouve non loin de Châteauneuf-en-Thymerais où le grand-père et l’arrière-grand-père de Théodore exerçaient la charge de capitaine et grand bailli ; à proximité également du petit village de Champrond où un terrain avait été établi comme fief des Ligneris en 1517. C’est une sorte de retour aux sources, Théodore n’ayant jamais vécu dans la région au cours de sa vie déjà bien remplie, bien qu’il y possède des terres par héritage. Son père Jacques avait quant à lui principalement habité à Paris quand il n’était pas en déplacement en Italie.

L’alliance était intéressante pour les deux parties. Pour les Billy, il s’agissait de perpétuer une terre sans la morceler, un domaine qui n’avait connu que deux familles en quatre cents ans. Il leur fallait un digne successeur. Théodore devait en effet posséder une aura prestigieuse dans la campagne chartraine : tout en étant un « enfant du pays », il faisait partie de l’entourage immédiat d’un prince du sang ; à 24 ans il avait déjà prouvé son courage dans de nombreuses batailles, ce qui était une valeur importante du modèle aristocratique en vigueur. Quel meilleur repreneur pour le domaine de Courville qui n’avait plus d’héritier mâle ?

L’année suivante, en 1578, Théodore et sa sœur Jeanne vendent l’hôtel particulier construit par leur père dans le quartier du Marais à Paris, à Madame de Kernevenoy, née Françoise de la Baume (4). Il était loué depuis plus de vingt ans, après que leurs parents soient décédés, et les deux enfants n’y avaient jamais habité. L’affaire aura quelques rebondissements judiciaires qui dureront plusieurs dizaines d’années, Théodore ayant estimé après coup que la somme n’était pas suffisante.

La nouvelle propriétaire est veuve d’un seigneur breton, François de Kernevenoy appelé, pour plus de commodité, de Carnavalet à la Cour et c’est ce surnom qui est resté attaché à l’hôtel pour la postérité. Gouverneur du Forez et du Bourbonnais, c’était un cavalier hors pair célébré par Montaigne et Ronsard, et très apprécié d’Henri II qui en avait fait le précepteur de son fils, le futur Henri III. Kernevenoy mourut en 1570 pour s’être trop dépensé, dit-on, lors des fêtes données pour l’entrée du roi Charles IX et de la reine Elisabeth d’Autriche.

On dit que « sa veuve fut plus fidèle à ses chevaux qu’à sa mémoire ». Brantôme, un militaire, courtisan et écrivain qui a raconté les aventures galantes de la Cour, la qualifiait de « très belle veuve et bien aimable » (au sens littéral). Françoise de la Baume appartenait à l’entourage proche de la reine Margot, comme demoiselle de compagnie. Elle servait, dit-on, les aventures de sa reine sans oublier les siennes.

Pendant ce temps, après avoir rompu avec Philippe II d’Espagne en se déclarant indépendants, les Pays-Bas se cherchent un nouveau prince. Leur regard se porte sur François. En 1579, il est invité par Guillaume d’Orange à devenir le souverain des provinces des Pays-Bas. Le 29 septembre 1580, les provinces (à l’exception de la Zélande et de la Hollande) signent le traité de Plessis-lès-Tours avec François qui prend le titre de protecteur de la liberté des Pays-Bas. Théodore accompagne vraisemblablement le prince dans tous ses déplacements.

En 1581, des négociations continuent pour le mariage de François avec Élisabeth Ière d’Angleterre. Il a vingt-six ans et elle en a quarante-sept. Élisabeth le surnomme sa grenouille. Leur rencontre est de bon augure mais nul se sait ce qu’en pense réellement la reine. Le peuple anglais est particulièrement opposé à ce mariage, car François est un prince français et de religion catholique.

L'entrée de François de Valois à Anvers en 1582

L’entrée de François de Valois à Anvers en 1582

Puis François retourne aux Pays-Bas, où il est officiellement intronisé. Il reçoit le titre de duc de Brabant en 1582, mais il commet l’erreur de décider sur un coup de tête de prendre Anvers par la force. Le 18 janvier 1583, ses troupes sont repoussées. C’est la furie française d’Anvers. Théodore participe à cette bataille, où il est fait prisonnier. Il ne devra sa libération qu’au paiement d’une forte rançon, comme il était d’usage à l’époque.

L’échec du duc d’Anjou ne l’empêche pas de reprendre les négociations avec les provinces des Pays-Bas. Mais soudain, en juin 1584, François meurt de la tuberculose. Théodore a 31 ans. Tout d’un coup très exposé, il va devoir trouver un nouveau maître et protecteur.

(1) Tous les paragraphes relatifs à François d’Alençon sont tirés de Wikipédia.

(2) Le contrat de mariage de Théodore a été passé à Nogent-le-Rotrou devant Me Julien du Pin. Les signataires du contrat sont Félice Rosny, mère de la mariée ; Lancelot de Rosny, seigneur de Brunelles et gentilhomme ordinaire du roi, grand-père de la mariée ; et Jean de Rosny son oncle.

(3) Les titres sont alors attachés à un domaine, clairement délimité, institué soit en châtellenie (pour les chevaliers) ou en baronnie. Les comtés forment des entités très vastes, en général possédées par des membres de la famille royale ou leurs descendants (comme le comté de Chartres) à titre d’éléments de leurs domaines privés. Les marquisats désignaient initialement (sous le Haut Moyen-Age) des comtés situés sur les frontières d’un royaume, c’est-à-dire exposé aux invasions, et nécessitant une capacité militaire renforcée ; le titre de marquis perdra sa spécificité militaire et disparaîtra avant d’être réutilisé dans la gamme usuelle des titres à partir du XVIIème siècle. Les duchés désignaient quant à eux soit de très vastes domaines indépendants (notamment durant tout le Moyen-Âge), soit des fiefs regroupant plusieurs comtés, attribués aux princes du sang.

(4) Source : « L’Hôtel Carnavalet » par Michel Gallet et Bernard de Montgolfier (Bulletin du Musée Carnavalet)

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