Maximilien des Ligneris a 19 ans lorsqu’en 1832 une pandémie mondiale de choléra frappe la France. Partie d’Inde en 1826, elle avait atteint Moscou en 1830, provoquant des émeutes en Russie, puis traversé la Pologne et la Finlande. Elle arrive à Berlin en 1831, à Londres en février 1832, puis à Paris un mois plus tard avant de gagner une grande partie de la France. Des immigrants irlandais l’emmèneront au Québec. La maladie se propagera en Ontario et Nouvelle-Ecosse, avant que des passagers ne la fassent entrer aux Etats-Unis par Détroit et New-York. La pandémie atteindra l’Amérique du Sud en 1833 où elle durera jusqu’en 1848.
Maximilien et sa sœur Charlotte restent sans doute confinés par leur mère au château de Brocourt, dans la Somme. En six mois, le choléra fait 100.000 victimes en France, dont 20.000 morts à Paris. Les rues sont vides, plus personne n’ose sortir, et chacun se méfie de son voisin. De grands esprits scientifiques de l’époque succombent, notamment Sadi Carnot, père de la thermodynamique, mais aussi des personnalités politiques de premier plan comme le président du Conseil Casimir Périer. Cette pandémie constituera l’un des traumatismes majeurs du XIXème siècle.
Au cours de la décennie qui suit, le royaume de France connaît de profondes mutations sociales, économiques et politiques. Le roi Louis-Philippe est soucieux de réconcilier les Français, profondément divisés après la révolution de 1830, autour des principes de modération. Après avoir adopté le drapeau tricolore, supprimé la censure et accepté que le catholicisme cesse d’être religion d’Etat, il fait disparaître l’étiquette solennelle de la cour, et se promène dans les rues de Paris : sa simplicité le rend populaire.
Louis-Philippe gouverne au centre, faisant la synthèse de la tendance royaliste orléaniste et de la tendance libérale. Il n’est pas reconnu par les royalistes ultra, eux-mêmes scindés en deux branches concurrentes, ni par les bonapartistes qui soutiennent le prince Louis Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier.
La mise en place d’un régime parlementaire, et l’accession de la bourgeoisie aux affaires manufacturières et financières permettent un essor économique de première importance. La machine à vapeur et le train apparaissent en France et se développent, ainsi que les grands établissements industriels. (1)
Maximilien des Ligneris est alors un jeune rentier typique de la noblesse d’Ancien Régime. Il ne cherche pas à rentrer dans l’armée comme son père et son grand-père, mais chasse avec ses amis, et fréquente les salons mondains. Il mène probablement grand train à Paris pendant une décennie et ne boude pas son plaisir.

La marquise de Béthisy se rendant à une soirée, 1835, tableau de Ch. Steuben, Musée des Beaux Arts de Lille. Maximilien des Ligneris doit beaucoup fréquenter ces salons mondains.
Ce n’est qu’à 32 ans qu’il se décide à se marier. Peut-être sur l’insistance d’Antoinette, sa mère ? Toujours est-il qu’il épouse le 27 octobre 1845 à une heure de l’après-midi, à la mairie du premier arrondissement de Paris, Marie-Augusta Thourou de Bertinval, une jeune femme de 17 ans. Sa mère Anne-Laurence d’Origny est présente au mariage. En revanche son père Charles, baron de Bressolles, était décédé quatre ans plus tôt. (2) Au vu de leurs âges respectifs, Maximilien n’a pas pu rencontrer Marie-Augusta dans sa vie parisienne. Ce n’est vraisemblablement pas un mariage d’amour, mais un mariage arrangé, une alliance opportune pour les deux familles.
Maximilien est entouré de sa mère, son beau-père, ainsi que de son cousin et témoin le comte de Vallanglart. En revanche sa sœur Charlotte brille par son absence. Peut-être s’est-elle brouillée avec lui ou désapprouve-t-elle sa conduite insouciante. Contrairement à lui, elle est restée à Brocourt et s’est engagée dans la vie locale en fondant un pensionnat de jeunes filles. Elle ne se mariera jamais.

Pensionnat de jeunes filles de Brocourt
Les époux habitent un court moment à Paris, où naît rapidement un premier enfant prénommé Jacques Joseph Maximilien Charles, le 11 septembre 1846. Peut-être n’était-ce que le temps de remettre en état le château de Méréglise (Eure-et-Loir), qui devait être bien vide depuis le décès en 1827 du grand-père de Maximilien. Ils s’y établissent quelques mois après la naissance de Jacques. C’est là que naîtra leur second fils, Charles Marie Anne Théodore, le 2 novembre 1847.
Pour autant, tout à leur bonheur de nouveaux parents, peut-être ne voient-ils pas s’assombrir autour d’eux la situation générale du pays. La popularité du roi Louis-Philippe a commencé à décliner lorsque son gouvernement s’est fait de plus en plus conservateur et monarchique. Les conditions de vie de la population se sont détériorées, les écarts de revenus ont augmenté. A partir de 1846, une crise agricole et économique dégrade la situation, attisée par le Parti Républicain, ce qui amène à un bouleversement politique majeur.
Ainsi, du 22 au 24 février 1848, la France renoue pour la troisième fois avec les révolutions. Ce fut néanmoins une surprise pour la plupart des acteurs : « l’événement me tomba sur la tête, absolument comme la foudre » nota l’orléaniste Albert de Broglie, tandis qu’à l’autre bout du spectre politique le socialiste Etienne Cabet se souvient que « la révolution est arrivée comme une bombe ou un éclair ». (3)

Lamartine, chef du gouvernement provisoire, devant l’Hôtel de Ville de Paris le 25 février 1848 (extrait du tableau de F. Philippoteaux, 1848, Musée Carnavalet alias Hôtel des Ligneris)
Au terme de trois jours de barricades et de combats dans les rues de Paris, le roi Louis-Philippe, alors âgé de 75 ans, abdique le 24 février 1848. Son fils héritier étant mort accidentellement six ans auparavant, il nomme son petit-fils comme successeur. La Chambre des Députés hésite, mais proclame la IIème République. La famille royale fuit immédiatement vers l’Angleterre, tandis que la foule envahit les Tuileries et dévaste le palais pendant plusieurs heures, à commencer par la salle du trône qui est saccagée.

Louis-Philippe en mars 1848, en exil à Claremont House en Angleterre. Une rare et exceptionnelle photo, l’une des premières au monde d’un souverain.
Ce n’est que le début d’une période très agitée, qui secouera toute l’Europe. Un « Printemps des Peuples » formé d’une succession d’insurrections et de révolutions presque concomitantes. Un idéalisme sentimental qui portera haut, en France, les idées de Liberté, d’Egalité et de Fraternité.
Mais comment Maximilien et Marie-Augusta vont-ils traverser cette période qui menace leur rang social et leur mode de vie ? Que vont devenir leurs tout jeunes enfants ?
(1) Sources de ce paragraphe et du précédent : Histoire de France, Larousse, 1998 ; et Wikipédia, article sur Louis-Philippe Ier.
(2) Source : Acte de mariage du 27 octobre 1845, que l’on peut trouver sur la page « Documents et sources » ou ici. Marie Augusta avait donc perdu son père exactement au même âge que Maximilien avait perdu le sien. Les proches de Maximilien qui l’accompagnent sont sa mère Antoinette (âgée de 57 ans), son beau-père Jean-Baptiste vicomte d’Hervilly (55 ans), et son cousin et témoin Jean-Marie Leroy comte de Vallanglart (37 ans). Les témoins de Marie-Augusta sont des membres de sa famille, Antoine comte de Nanteuil (68 ans), et Napoléon marquis de Bréhan (40 ans). Anne-Laurence d’Origny est âgée de 45 ans au moment du mariage de sa fille.
(3) Source : Magazine L’Histoire n°444, février 2018, p30, article de Quentin Deluermos.