Claude des Ligneris entra (presque) dans l’Histoire, en devenant un compagnon de la première heure du père de la poésie française, Pierre de Ronsard.
A l’époque, en 1548, un petit groupe de jeunes gens se forme autour de Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay. Se baptisant eux-mêmes « la Brigade », ses membres vont révolutionner la poésie française. « Elle était alors formée des élèves du Collège de Coqueret : du Bellay, Baïf, Urvoy, Peccate, Denisot, Harteloyre, Latan, des Mireurs, Ligneri et Capel. » (1) Ce mouvement littéraire a pour ambition d’imiter et surpasser les italiens Pétrarque et Dante en créant une littérature en langue française capable d’égaler les poètes latins ou grecs.

(1508-1588), vers 1585
BNF, Département des estampes
Pierre de Ronsard a déjà 24 ans et une première expérience diplomatique mais il a décidé de se consacrer de nouveau à l’étude après une longue convalescence. Attaché au diplomate Lazare du Baïf, il se lie avec son fils Jean-Antoine du Baïf, futur compagnon de la Pléiade, et au précepteur de ce dernier, Jean Dorat. Agé de 40 ans, fameux helléniste et latiniste, Jean Dorat semble très charismatique, à l’image du professeur John Keating dans le film Le Cercle des Poètes Disparus. Il dirigeait alors le collège de Coqueret (2), situé à Paris sur la montagne Sainte Geneviève, et c’est tout naturellement que ses étudiants se rassemblent autour de Ronsard, du Baïf et lui.
En 1549, Joachim du Bellay publie Défense et illustration de la langue française, un texte fondateur qui expose les idées de la Pléiade. Dix ans seulement après l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui imposait l’usage du français comme langue du droit et de l’administration dans le royaume de France, c’est un plaidoyer en faveur de la langue française, appelant à l’enrichir afin qu’elle devienne une langue de référence et d’enseignement aussi puissante que le latin.
Il faut imaginer Claude des Ligneris en jeune homme de 15 ans, alerte, joyeux et insouciant, comme devait l’être un adolescent favorisé issu de l’élite cultivée de Paris : « C’est en 1549 aux Bacchanales, qui marquèrent le « fôlatrissime voyage d’Arcueil » que Lignery s’est signalé par ses talents de joueur de lyre. » (3)
Il ne quitte plus ce groupe d’amis : on cite « Lignery, l’un des plus ardents joueurs de luth de la Brigade ». Il est ami intime avec Pierre de Ronsard et Antoine Chasteigner :
« [Antoine] les avait écrits, sans doute, les vers, à Ternay sur les bords du Loir, en se promenant avec Ronsard et leur « doux ami » Claude de Lignery par les prés et les bois que Lignery possédait auprès de ce village, seigneurerie de Jeanne de Ronsard, tante de Pierre. » (4)
Claude assiste ainsi à l’écriture des Odes, première grande œuvre de Ronsard publiée en quatre livres en 1550. Puis viendront Les Amours de Cassandre, en 1552, œuvre poétique remarquée à la Cour d’Henri II.
Le père de Claude des Ligneris, qui était président de la Chambre des Enquêtes du Parlement de Paris, se trouvait alors comme ambassadeur au Concile de Trente, en Italie. Claude est appelé à partir en mission diplomatique à Rome au service du roi, à ses 17 ans. Il résidera peut-être à la cour pontificale auprès du cardinal Jean du Bellay, oncle de son ami Joachim.
« Ronsard lui adressa l’Ode n°10 au plus tard vers le mois de janvier 1552 ; on y lit qu’après l’avoir assuré de sa vive et constante amitié, il regrette de ne pouvoir l’accompagner en Italie, vu l’aspre soin qui l’enchevestre (passion de l’amour ou faute d’argent?) et à cause des rigueurs de l’hiver. A son retour que de confidences à échanger ! Ligneri racontera à Ronsard ses impressions de voyage ; Ronsard lira à Ligneri le début de la Franciade, et lui sacrifiera un petit taureau élevé dans les prés du Loir… » L’ode « de Ligneri » fut publiée en septembre 1552 :
A Ligneris, sur son voyage en Italie
Qui par gloire, et par mauvaistié,
Et par nonchalante paresse
Aura tranché de l’amitié
Le nœud qui doucement nous presse,
A celui de rigueur expresse
Je défends qu’en nulle saison
Ne s’héberge dans ma maison…
Que sert à l’homme de piller
Tous les printemps de l’Arabie,
Et de ses moissons dépouiller
Soit la Sicile, ou la Libye,
Ou dérober l’Inde ennoblie
Aux trésors de son bord gemmé,
S’il n’aime, et s’il n’est point aimé?…
Quand tu te seras approché
Des plaines grasses d’Italie,
Vis, Ligneris, pur du péché
Qui l’amitié première oublie;
N’endure que l’âge délie
Le nœud que les Grâces ont joint.
O temps où l’on ne soulait point
Courir à l’onde Hyperborée!
Telle saison fut bien dorée,
En laquelle on se contentait
De voir de son toit la fumée,
Lors que la terre on ne hantait
D’un autre Soleil allumée,
Et les mortels heureux, alors
Remplis d’innocence naïve,
Ne connaissaient rien que leur rive
Et les flancs de leurs prochains bords.
Tu me diras à ton retour
Combien de lacs et de rivières
Lèchent les murs d’un demi tour
De tant et tant de villes fières,
Quelles cités vont les premières
En brave nom le plus vanté;
Et par moi te sera chanté
Ma Franciade commencée,
Si Phébus mûrit ma pensée.
Tandis sur le Loir je suivrai
Un petit taureau que je voue
A ton retour, qui jà sevré
Tout seul par les herbes se joue;
Blanchissant d’une note au front,
Sa marque imite de la Lune
Les feux courbés, quand l’une et l’une
De ses deux cornes se refont.
« Nous savons d’autre part qu’ils ne se revirent jamais, car Ligneri mourut à l’âge de dix-huit ans, vers la fin de 1552 ou les premiers mois de 1553, à Rome où il était allé pour les affaires du roi Henri II. » On ne sait pas ce qui est arrivé à Claude, aucune source ne le mentionne. Ce pourrait être une maladie pendant l’hiver, un assassinat dans les rues sombres, un duel ? Il fut enterré dans l’église Saint-Louis-des-Français, à Rome.
Leur ami commun, Antoine Chasteigner, « écrit une ode à Ronsard sur la mort de Ligneris. » (5) Mais lui-même est tué quelques mois plus tard au siège de Thérouane en juin 1553.
Ronsard écrit alors une élégie sur la mort d’Antoine Chasteigner. « Dans son souvenir et son affection, Ronsard ne sépare pas Lignery d’Antoine Chasteigner » (6) :
Dans les Champs Elysées
Souvienne toy de moy et, dans un pré fleury,
Te promenant avec mon Lignery
Parle toujours de moy
Notes
(1) Source : « Ma bibliothèque poétique, deuxième partie : Ronsard », par Jean-Paul Barbier.

(2) « Fondé en 1418 sur la montagne Sainte-Geneviève à Paris par Nicolas Coquerel ou Coqueret, le collège de Coqueret reste obscur jusqu’à ce que, à la rentrée de 1547, Jean Dorat y soit nommé professeur, et sans doute principal : il devient dès lors le berceau de ce qu’on appellera la Pléiade. Autour de Dorat sont rassemblés un grand nombre d’étudiants, et surtout un petit groupe d’internes, parmi lesquels Ronsard et Baïf, qu’il a amenés avec lui, puis Du Bellay qui vient bientôt les rejoindre. L’emploi du temps est celui des collèges de l’époque, dont la journée de Gargantua — pour les activités intellectuelles du moins — donne une image à peine outrée : si, de temps à autre, le maître emmène le groupe en banlieue (Ronsard nous a laissé le récit d’une « folastrissime » excursion à Arcueil), la quasi-totalité du jour et une partie de la nuit sont consacrées à l’étude (Baïf se lève quand Ronsard se couche, de sorte, nous dit le biographe de Ronsard, qu’« il ne laissoit refroidir la place »). Sous la direction de Dorat qui leur communique son enthousiasme, les jeunes gens, avides de science, acquièrent une maîtrise parfaite des langues anciennes et, par un contact direct et assidu avec les œuvres, une connaissance remarquablement étendue et précise des littératures latine et (fait beaucoup plus rare) grecque. Ils s’attachent surtout aux poètes, et lisent aussi avec passion Pétrarque et les modernes italiens ; déjà ils s’essaient eux-mêmes aux vers. C’est dans ce foyer de vie intellectuelle laborieuse et fervente qu’est mûrie Deffence et illustration de la langue françoyse ; c’est à Coqueret que se forme cette première « brigade », bientôt renforcée par quelques étudiants d’un collège voisin, d’où se détachera une pléiade de jeunes écrivains décidés à donner à la France une poésie digne des œuvres antiques et italiennes. »
source : Bernard Croquette, Site internet de l’Encyclopédie Universalis, août 2019.
(3) Source : « Pierre de Ronsard : ses juges et ses imitateurs », par Guillaume Colletet.
(4) Idem.
(5) Source : « Histoire Générale des Chasteigner », par A. du Chesne.
(6) Source : « Pierre de Ronsard : ses juges et ses imitateurs », par Guillaume Colletet.