Jean des Ligneris, fils aîné de Pierre, a vécu une belle histoire d’amour avec Louise de Balu.
Elle était la fille d’un écuyer, Jean de Balu, et de Catherine des Ormes, qui s’étaient mariés le 12 juin 1469 (1). Louise avait d’abord épousé le 22 janvier 1486 Étienne de Prunelé (elle devait avoir quinze ans), dont elle eut plusieurs enfants. Mais après quatorze ans de vie commune, Étienne décéda vers l’an 1500.
Louise, jeune veuve à peine trentenaire, rencontra Jean des Ligneris. Ou peut-être se connaissaient-ils déjà. Ils tombent amoureux. Mais Jean était chevalier d’un ordre religieux et militaire, ce qui lui interdisait de se marier.
Jean des Ligneris fut en effet, dans sa jeunesse, d’abord Chevalier de l’Ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem (2) jusqu’à ce que celui-ci soit supprimé en mars 1489 par le Pape Innocent VIII pour être regroupé avec l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, basé sur l’île de Rhodes, qui sera plus tard appelé l’Ordre de Malte. Pour épouser Louise, Jean doit probablement révoquer ses vœux et quitter l’Ordre, ce qui représentait sans doute une forme de suicide social, donc un acte d’amour particulièrement fort.
Jean avait reçu en héritage de ses parents les terres qu’ils possédaient en Anjou et en Touraine (3). Louise quant à elle hérita de la terre de Saint-Germain-en-Beauce à la mort de son oncle en 1505, et c’est probablement là que vivait le couple.
Le 26 mai 1505, nous voyons Jean des Ligneris « rendre aveu » au seigneur de Meslay au nom de sa femme pour cette terre de Saint Germain (2). Remarquons ici que les femmes conservaient leurs biens après le mariage, puisque c’est seulement en qualité de représentant de son épouse que Jean vient renouveler les liens de vassalité des terres de Saint Germain à l’occasion de leur changement de propriétaire.
Jean est également cité en 1505 (3) dans un acte « de foi et hommage » à François de Montgomery, seigneur de Cormainville, pour les terres de la Porte. Le samedi 23 mai 1506, il fait constater le paiement de ses impôts au titre de ces terres (4).
Les enfants de Louise avec son premier mari étaient encore très jeunes. Jean assuma donc leur éducation et la gestion des biens, mais ceux-ci reviendront ensuite aux enfants d’Etienne de Prunelé à leur majorité. Il est probable que le clan des Prunelé y faisait attention ; il n’était pas question que les biens de la famille passent dans le patrimoine de Jean des Ligneris et à ses enfants. C’est ainsi que le fils aîné, Gilles de Prunelé « transigea avec son beau-père pour raison de la succession de son père » le 7 août 1513. Il héritera plus tard de la terre de Saint-Germain-le-Désiré.
Louise et Jean donnèrent naissance à deux filles : Jeanne des Ligneris qui épousera le 31 juillet 1525 son cousin Urbain de Prunelé (5), seigneur de Guillerval (6) ; et Jacqueline des Ligneris, future femme de Jacques de Gauville, seigneur d’Aunay, un des Cent gentilhommes du roi, Grand Sénéchal de Normandie dans les années 1520 (7). C’est ainsi que les terres de Touraine et d’Anjou, constituées en dot pour les deux mariages, sont sorties du giron de la famille des Ligneris.
Après avoir partagé plus de quinze années de vie commune avec Louise, Jean décèda le 7 juin 1520. Louise était alors âgée de cinquante ans. Elle vivra jusqu’en 1537, au château de St Germain.
Avant de recueillir l’héritage de son oncle, Louise avait fait avec son premier mari Étienne de Prunelé son testament, aux termes duquel ils avaient élu leur sépulture dans l’église paroissiale d’Autruy, non loin du château de la Porte, qu’ils habitaient alors. Après la mort de son premier mari, son fils Gilles de Prunelé devint à sa majorité seigneur de la Porte, et elle se retira à Saint Germain. Ce qui explique qu’elle sera inhumée finalement dans la chapelle du château de Saint Germain et non à Autruy. (Repères : carte des terres de La Porte et Autruy, près d’Etampes au sud de Paris)
Mais Louise a tenu à se faire représenter entourée de ses deux maris, Étienne et Jean : sur la reproduction de la pierre tombale de la chapelle du château de Saint Germain-le-Désiré, l’on voit Louise de Balu placée entre ses deux maris revêtus de leurs armures, sur lesquelles sont reproduits leurs blasons. Elle a voulu rester fidèle à la mémoire des deux hommes de sa vie.
Outre leurs armoiries, répétées aux angles de cette pierre, on y voit des écussons mi-partie de leurs armes, mi-partie des siennes, ainsi que le texte suivant inscrit sur le pourtour de la pierre :
« Ci-gît et repose noble dame Louise de Balu dame de Saint Germain laquelle épousa en premières noces noble homme Étienne Prunelé seigneur de la Porte et de Gaudreville et en secondes noces épousa messire Jehan des Ligneris seigneur de la Coer et fut chevalier de It Jérusalem lequel ci-gît et repose et trépassa le 7ème jour de juin mille cinq cent vingt : priez Dieu pour eux. »
(1) De Balu portent « d’argent à un chevron de gueules brisé, accompagné de trois merlettes de sable ».
(2) Source : Dossiers Bleus 396, Département des Manuscrits Français 29 941, Cabinet des Titres, Bibliothèque Nationale de France, consulté sur Gallica le 9 octobre 2019, cote de la matrice R212517.
(3) Idem.
(2) Après la mort de son second mari, Louise de Balu rendra elle-même hommage pour une partie de ses domaines au seigneur de Bezou, pour le fief sans domaine du même nom, comme l’atteste l’aveu du 5 septembre 1525. Ce fief lui-même relevait « des deux tierces parties » du Puiset. A la même date, elle rend un autre aveu pour le lieu seigneurial de Saint-Germain, à Louis de Vendôme chambellan du roi, vidame de Chartres.
(3) Archives Départementales de Chartres, document E2830.
(4) Manuscrit de Laisné, tome 5, p237.
(5) De Prunelé portent « de gueules à six annelets d’or, 3, 2 et 1 ».
(6) Ironie de l’histoire, les Ligneris et les Prunelé se seraient affrontés lors d’un procès, en 1266, soit 259 ans plus tôt. D’après Moreri, Grand Dictionnaire Historique, article « Prunelé ».
(7) Source : Dictionnaire généalogique héraldique historique et chronologique, édité à Paris en 1765 par Duchesne, libraire, tome VII, p151.