Nous sommes en 1582. Théodore contrôle presque toutes les routes arrivant au nord, au sud et à l’ouest de Chartres. Profitant des troubles des guerres de religions, il interdit aux marchands de traverser ses terres, ou, tout au moins, leur fait acquitter un droit de passage élevé (carte 1582 ).
Le gouverneur de Chartres François de Sourdis, ayant été envoyé en Italie au mois de septembre 1582, le roi Henri III confie l’intérim de sa charge à Jean d’Allonville, seigneur de Réclainville. Ce capitaine arrive le 23 janvier 1583, très attendu par les échevins (les administrateurs de la ville de Chartres), qui comptent sur sa fermeté pour réprimer les pillages des gens de guerre et les agissements de quelques seigneurs du voisinage. Effectivement, il met les fauteurs de troubles à la raison, notamment Théodore, qui doit lever ses barrages sur les routes. (1)
En 1584, à la mort de son maître et protecteur le duc d’Alençon, Théodore a 31 ans. Tirant avantage de ses nombreuses relations à la Cour, il devient gouverneur de Verneuil, c’est-à-dire chef militaire de la place-forte qui verrouille l’accès entre l’Île de France et la Normandie dans la vallée de l’Avre, au nord de Chartres. Ce n’est pas sa forteresse, mais bien celle du roi, qui lui confie le poste.
Or à l’échelon national, une nouvelle crise s’ouvre. Henri III n’ayant pas d’enfant, son jeune frère François d’Alençon était l’héritier naturel de la couronne. Avec sa mort, le plus proche parent en ligne masculine — en accord avec la loi salique qui régit la succession au trône de France — est le roi Henri III de Navarre, de la Maison de Bourbon, un prince protestant (qui deviendra Henri IV de France en montant sur le trône). (2)
Le prince de la Maison de Lorraine Henri de Guise prend alors la tête d’une nouvelle Ligue Catholique. Depuis 1582, le roi d’Espagne Philippe II apportait son soutien financier aux catholiques, y voyant sans aucun doute le double moyen d’affermir la catholicité et d’affaiblir le roi de France, son rival sur la scène européenne. Il confirme ce soutien par la signature du traité de Joinville avec les Guise le 31 décembre 1584, où il reconnaît comme successeur au trône de France le cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre, second dans la ligne de succession mais catholique.
La Ligue publie une proclamation le 31 mars 1585 à Péronne, où elle déclare vouloir rétablir « la religion unique », soustraire le roi à l’emprise de ses favoris, et l’obliger à faire appel régulièrement aux États généraux. Les ralliements de chefs militaires se multiplient.
Par le traité de Nemours, Henri III de France doit céder devant les exigences de la Ligue, devenue trop puissante. La huitième guerre de religion se solde par un statu quo militaire, la victoire protestante à Coutras étant équilibrée par les victoires d’Henri de Guise à Auneau et Vimory (1587), ce qui renforce encore le prestige de ce prince et de la Maison de Lorraine.
Cependant Henri III interdit à Henri de Guise d’entrer dans Paris, où des rumeurs d’insurrection couraient. Mais celui-ci passe outre, et pénètre dans la capitale le 9 mai 1588. Devant les mouvements de l’armée royale, la population de Paris soutenant les Guise, la ville ne tarde pas à se hérisser de barricades. Ayant perdu le contrôle de sa capitale, Henri III se réfugie à Chartres.
Henri III fait mine de se réconcilier avec les Ligueurs : il signe à Rouen le 15 juillet 1588 l’Édit d’Union contre les protestants, et livre la ville portuaire de Boulogne-sur-Mer aux Ligueurs pour que ces derniers puissent y recevoir la flotte espagnole. De plus, Henri de Guise est fait lieutenant-général du roi pour le royaume (c’est-à-dire chef des armées). Populaire, puissant, il se prépare à prendre le pouvoir. Jean-Marie Constant décrit les événements dans son ouvrage La Ligue paru chez Fayard en 1996 (3) :
« En 1588, le roi Henri III n’ayant pas réussi à reprendre en main son royaume par les armes va tenter de parvenir à ses fins par le jeu politique, où il excellait. Il décide de convoquer l’assemblée des États Généraux, déclarant que la réunion des trois Ordres était nécessaire pour réformer le royaume et restaurer l’autorité du roi
Les Guise et les Ligueurs ne furent pas le moins du monde impressionnés par cette manœuvre et se jetèrent dans une formidable campagne électorale dont les protestants furent pratiquement exclus mais qui opposa Ligueurs et partisans du roi.
Henri III chercha par tous les moyens à favoriser l’élection de ses fidèles […]. Dans de nombreux baillages, les assemblées électorales furent le théâtre de véritables affrontements politiques. Parfois, sans être aussi directes, des pressions s’exercèrent sur les députés ou les autorités locales.
Ainsi à Chartres, Henri III fit venir le gouverneur Jean d’Allonville, seigneur de Réclainville, pour l’entretenir du futur représentant de la noblesse du baillage : appartenant à un lignage ancien et honorable de gentilshommes beaucerons, il était en mesure de connaître l’état d’esprit qui régnait dans le pays. Le roi lui demanda d’abord si l’on avait procédé « à la nomination d’un député ». Prudemment, le gouverneur répondit que « rien n’était encore fait » mais qu’à « l’air du bureau, le sieur de Mémulon, gentilhomme du Dunois, personne qualifiée et de mérite, ou le seigneur de Ligneris, baron de Courville, pourraient avoir une bonne part. » Le souverain n’appréciait pas la candidature de ces deux hommes, il voulait quelqu’un de plus sûr : il qualifia Mémulon de « vieil rêveur et opiniastre » et reprocha à Ligneris une obscure défaite militaire devant Verneuil.
Il conclut en proposant l’un de ses proches, Louis d’Angennes seigneur de Maintenon. Alors le dialogue s’envenima ; le roi s’énerva face aux réticences de son interlocuteur. Ce dernier, qui était bègue, et de plus en plus ému, n’osait pas dire au souverain que la noblesse n’aimait pas Maintenon, qu’elle accusait de pencher secrètement vers la Réforme et surtout de ne pas être indépendant du pouvoir puisqu’il appartenait au Conseil du roi.
Henri III se mit en colère, criant « qu’il voulait absolument qu’on l’élût, n’ayant ni de plus fidèle ni de meilleur serviteur que dans cette maison-là. » Devant le pauvre gouverneur interdit, il alla même jusqu’à menacer de faire couper la tête au baron de Courville [Théodore des Ligneris] s’il osait se présenter à Blois. Finalement Maintenon fut élu et le Conseil du roi, appelé à arbitrer, trancha en sa faveur. »
Bien que sa tête soit menacée, Théodore se présente tout de même le 15 août 1588 à Blois comme élu de la noblesse du pays chartrain, et siège avec l’autre représentant durant tout la durée de la session. (4) Mais il est déçu par le l’attitude du roi. « Depuis ce moment, des Ligneris embrassa le parti de la Ligue. »


« Dans l’ensemble, malgré ces conflits et ces pressions, les deux partis s’équilibrèrent dans l’assemblée de l’ordre de la noblesse. Il n’en fut pas de même pour le clergé et le tiers état, qui donnèrent la majorité à la Ligue. » (5)
Quelques mois plus tard, en décembre 1588, Henri III fait assassiner Henri de Guise par sa garde personnelle, puis le cardinal de Lorraine, frère du duc de Guise. Il fait arrêter l’archevêque de Lyon, le cardinal de Bourbon, le prince de Joinville, fils du duc de Guise, sa mère la duchesse de Nemours et son cousin, le duc d’Elbeuf. Plusieurs députés des États généraux sont également arrêtés. Après l’exécution des frères Guise, le duc Charles de Mayenne, frère de Henri de Guise, dirige la Ligue.
Ce coup d’État provoque un soulèvement général. La Sorbonne relève les sujets de leur devoir de fidélité au roi. Toutes les provinces tenues par la Ligue (essentiellement la Champagne, le Midi, la Bourgogne, la Bretagne, la Normandie, et la région de Paris) se soulèvent contre le « tyran » Henri III. Celui-ci s’allie au roi de Navarre, et leur armée met le siège devant Paris.
C’est alors qu’Henri III est assassiné le 1er août 1589 par Jacques Clément, un moine Dominicain membre de la Ligue.
Les familles catholiques répugnent à accepter un nouveau roi qui soit protestant, Henri IV, qui entreprend donc de reconquérir son royaume. Que va devenir Théodore, lui qui a pris parti pour la Ligue ?
Notes
(1) Ce paragraphe et le suivant sont inspirés de l’excellent site internet de Monsieur Pierre Braquet (http://www.saint-hilaire-des-noyers.org/) propriétaire du château de Saint Hilaire des Noyers, situé dans la commune de Colonard-Corubert dans le Perche. M. Braquet a reconstitué l’histoire de tous les propriétaires successifs du château, dont Théodore des Ligneris.
(2) Ce paragraphe et les cinq suivants sont issus du site Wikipedia, article consacré à la Ligue Catholique, https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_catholique_(France) , que j’ai repris et adapté.
(3) Ces six paragraphes sont tirés de l’ouvrage La Ligue, de Jean-Marie Constant, chez Fayard, 1996, pp 158-160. http://www.fayard.fr/la-ligue-9782213594880
(4) Un manuscrit de 1588 conservé aux Archives départementales de Chartres mentionne Théodore des Ligneris parmi les députés des états généraux. [référence à compléter]
(5) La Ligue, de Jean-Marie Constant, chez Fayard, 1996. http://www.fayard.fr/la-ligue-9782213594880